Le 18 juin 2015, la société publique régionale des Pays de la Loire lance, pour le compte du conseil régional, un appel d’offres ouvert pour la passation d’un marché dont l’objet est la construction d’une extension du site Agrocampus Ouest à Angers. Une société se porte candidate pour l’attribution du lot gros œuvre. Mais le 5 octobre, elle est informée du rejet de son offre, au motif que placée en redressement judiciaire le 10 juin, la période d’observation dans laquelle elle se trouve (elle doit s’achever le 10 décembre) ne permet pas de couvrir la durée des travaux. L’entreprise saisit alors le juge du référé précontractuel qui rejette sa demande d’annulation de la procédure fondée sur le moyen d’une violation du principe d’égal accès à la commande publique.
Garanties difficiles à apporter
Le moyen soulevé par l’entreprise requérante est plutôt audacieux. « Dans le cas d’un marché public de travaux passé en procédure formalisée, entre la durée de passation et celle de l’exécution, on dépasse largement la durée de la période d’observation de six mois qui est fixée par le code de commerce. Dans la mesure où le juge administratif considère qu’une société en redressement judiciaire n’est pas recevable à soumissionner à un marché dont l’exécution s’étend au-delà de la période d’observation admise par le jugement l’autorisant à poursuivre son activité, il est possible d’affirmer que, de facto, les entreprises placées en redressement judiciaire sont exclues de fait des procédures de passation.
Cette solution est d’ailleurs contradictoire avec l’une des finalités de la procédure de redressement judiciaire qui est de permettre à l’entreprise de se redresser ! », explique Me Guillaume Collart, avocat au cabinet Fidal. L’audace n’a pas payé. Pour le juge du référé précontractuel, « le principe d’égalité de traitement entre les candidats fait obstacle à ce que soit choisi comme attributaire d’un marché public un candidat qui ne dispose pas de la capacité financière suffisante pour l’exécuter ».
Des règles du jeu très strictes
« Les règles du jeu fixées par le code des marchés publics sont claires. Le juge confirme que les dispositions du code des marchés publics et de l’ordonnance du 6 juin 2005 sont compatibles avec le droit européen et avec les dispositions du code de commerce.
De plus, les directives européennes de 2004 et de 2014 prévoient un régime plus strict que le droit interne, puisqu’elles laissent aux pouvoirs adjudicateurs la possibilité d’exclure toutes les entreprises en difficulté, quel que soit le régime sous lequel elles sont placées », souligne Me Clément Gourdain, avocat au cabinet CVS avocats. « Certes la réglementation existe mais la jurisprudence administrative est extrêmement sévère et dénuée de toute réalité par rapport au code de commerce qui fixe une période d’observation de six mois », répond Me Guillaume Collart.
Pas de régularisation de candidature
« On demande aux entreprises de trouver des solutions pour améliorer leur bilan. Mais comment faire pour une entreprise qui, alors même que le secteur public représente 50 % de son chiffre d’affaires, ne peut plus espérer remporter de marchés, parce qu’elle ne peut pas apporter de garanties nécessaires ? On la prive de son remède », considère Me Collart. Selon lui, « il faudrait permettre au pouvoir adjudicateur, au moment de l’analyse des offres, de revenir vers l’entreprise pour voir si sa situation s’est améliorée. Si ce n’est pas le cas, alors son offre sera rejetée. Le Conseil d’État autorise bien en marché à procédure adaptée le pouvoir adjudicateur à inviter le candidat à régulariser sa candidature (CE, 30 novembre 2011, ministre de la Défense et des Anciens combattants) ».
Mais, le juge n’a pas été sensible à cette proposition : les dispositions des articles 43 et 44 du CM ainsi que de l’article 8 de l’ordonnance du 6 juin 2005 ne subordonnent pas « la recevabilité de la candidature à un marché public d’une société en redressement judiciaire à la justification par celle-ci, lors du dépôt de son offre, de ce qu’elle est habilitée, par le jugement prononçant son placement dans cette situation, à poursuivre ses activités pendant la durée d’exécution du marché telle qu’elle ressort des documents de la consultation ».
Que reste-t-il aux entreprises placées en redressement judiciaire ?
Pour le magistrat, il est alors possible de contourner la difficulté en ayant recours à la sous-traitance. « Certes, une entreprise placée en redressement judiciaire sera exclue des marchés de travaux les plus importants. Mais comme le souligne le magistrat, elle peut candidater comme sous-traitant.
De plus, rien ne l’empêche de postuler aux marchés passés selon une procédure adaptée, pour lesquels la procédure de passation est suffisamment brève pour couvrir la période d’observation », estime Clément Gourdain.« En pratique c’est infaisable. Il faudrait pour l’entreprise trouver une société qui accepte comme sous-traitant une société placée en redressement judiciaire. De plus, le secteur des travaux publics est un secteur très concurrentiel et les entreprises qui répondent à des lots comme le gros œuvre sont tout à fait capables d’exécuter le marché sans avoir recours à un sous-traitant », remarque Me Collart.