Dans son arrêt du 7 novembre 2024 (Adusbef, aff. C-683/22), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé les cas dans lesquels un contrat de concession peut être modifié sans passer par une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence. Elle clarifie notamment que les manquements contractuels du concessionnaire ne constituent pas des circonstances imprévisibles, et elle rappelle les obligations de motivation et de transparence qui incombent à l’autorité concédante.
Contexte de l’affaire :
À la suite de l’effondrement du pont Morandi de Gênes en 2018, le ministère des Infrastructures italien a engagé une action contre le concessionnaire autoroutier pour des manquements graves à ses obligations d’entretien. Un accord amiable a été conclu, modifiant la concession, mais cet accord a été contesté devant la justice italienne pour défaut de mise en concurrence.
Le tribunal italien a saisi la CJUE pour interpréter les règles de modification des concessions prévues par l’article 43 de la directive 2014/23/UE.
Décision de la CJUE :
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Manquement du concessionnaire et circonstances imprévisibles :
La CJUE rejette l’argument selon lequel un manquement du cocontractant peut être considéré comme une circonstance imprévisible. Une autorité concédante diligente doit envisager dès l’attribution du contrat la possibilité que le concessionnaire ne respecte pas ses obligations. -
Changement dans l’actionnariat :
Un changement d’actionnariat décidé lors d’un règlement amiable ne constitue pas une modification substantielle de la concession dès lors qu’il ne change ni les termes du contrat ni le concessionnaire lui-même. Une nouvelle procédure n’est donc pas nécessaire dans ce cas. -
Renforcement des normes de sécurité et compensation financière :
Les modifications apportées pour renforcer les normes de sécurité et imposer une compensation financière ne sont pas considérées comme substantielles si elles n’altèrent pas l’équilibre économique du contrat en faveur du concessionnaire. Cela reste toutefois à l’appréciation du juge national. -
Motivation obligatoire des modifications :
La CJUE innove en rappelant que toutes les modifications de concession effectuées sans publicité ni mise en concurrence doivent être motivées. Cette obligation vise à permettre aux tiers, notamment ceux susceptibles d’être lésés, de :- Prendre connaissance des raisons justifiant cette modification.
- Décider, en toute connaissance de cause, s’ils souhaitent contester cette décision devant le juge.
Une absence de motivation pourrait entraîner l’invalidation de la modification en cas de recours.
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Fiabilité du concessionnaire :
L’autorité concédante n’a pas à réexaminer la fiabilité du concessionnaire lors d’une modification sans nouvelle mise en concurrence. En revanche, cette fiabilité doit être réexaminée si un nouveau concessionnaire est désigné après une procédure formelle.
Portée de la décision :
Cet arrêt de la CJUE apporte une clarification essentielle sur les modifications des contrats de concession, en insistant sur :
- La rigueur des conditions encadrant les exceptions à la mise en concurrence.
- L’importance de la transparence et de la motivation des décisions, permettant aux tiers d’exercer leurs droits.
- Le refus de reconnaître les manquements contractuels comme des circonstances imprévisibles justifiant une modification.
Réflexion :
La jurisprudence pose des limites claires pour éviter les détournements de procédure dans les concessions. Les autorités concédantes doivent anticiper ces situations en intégrant des clauses adaptées dès l’attribution et veiller à motiver rigoureusement toute modification. Transparence, équité et sécurité juridique sont ainsi renforcées pour les acteurs économiques concernés.