Dans son arrêt du 30 juillet 2024 (n° 470756), le Conseil d'État a réaffirmé un principe important en matière de marchés publics : l'acheteur n’est pas lié par l’avis du jury d’un concours et peut attribuer le marché à un candidat autre que celui classé premier. Cette jurisprudence clarifie les conditions dans lesquelles l'acheteur peut s’écarter de l'avis du jury, tout en soumettant cette liberté à un contrôle juridictionnel, notamment en cas de risque d'erreur manifeste d’appréciation.
Contexte de l’affaire
La communauté d’agglomération Valence Romans Agglo avait lancé un concours restreint pour la maîtrise d’œuvre en vue de la réhabilitation et reconversion d’une ancienne caserne en médiathèque et archives intercommunales. Un groupement de sociétés dont l’offre n’a pas été retenue a saisi le tribunal administratif de Grenoble pour obtenir l’annulation ou la résiliation du marché ainsi qu’une indemnisation pour leur éviction. Après des rebondissements judiciaires, l’affaire est parvenue devant le Conseil d’État.
Principe dégagé par le Conseil d'État
Le Conseil d’État a jugé que l’acheteur n’est pas tenu de suivre l’avis du jury. En effet, ni l’ordonnance n° 2015-899 relative aux marchés publics ni d’autres dispositions générales n'imposent à l'acheteur de justifier que l’offre retenue est manifestement meilleure que celle classée première. Cela signifie qu’un acheteur peut librement choisir un autre candidat, sous réserve de ne pas commettre une erreur manifeste d'appréciation.
Contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
Le Conseil d’État s’est penché sur l'appréciation des motifs de rejet de l’offre classée première par le jury. Dans cette affaire, le groupement classé premier proposait un projet qui dépassait largement l’enveloppe budgétaire prévue et nécessitait de lourdes modifications fonctionnelles. Le Conseil d’État a validé la décision de l’acheteur de rejeter cette offre, considérant que la communauté d’agglomération n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en retenant un projet plus adapté au cadre financier et fonctionnel.
Portée de la décision
Cette jurisprudence renforce la marge de manœuvre de l’acheteur dans le choix final du lauréat d’un concours de maîtrise d’œuvre, tout en rappelant l'importance d’une appréciation rigoureuse et justifiée. Cela appelle à une réflexion plus large : comment concilier la liberté de l’acheteur de s’écarter des avis techniques avec l’obligation de garantir des choix fondés et non arbitraires ?
Dans un contexte où les exigences de performance, de budget et de fonctionnalité doivent s’équilibrer, cette décision illustre bien que le rôle du jury est consultatif et non décisif. Toutefois, l’acheteur doit toujours s’assurer que son choix ne repose pas sur une appréciation erronée des offres soumises.
Ainsi, cette jurisprudence pose les bases d’une réflexion sur le juste équilibre entre la liberté de décision de l'acheteur public et la sécurité juridique des candidats à un marché.