Dans un arrêt du 11 juillet 2024 (affaire C-598/22), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a statué sur la compatibilité entre le principe d'inaliénabilité du domaine public et la liberté d’établissement garantie par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Elle a jugé que la règle nationale italienne, prévoyant que les ouvrages construits par un concessionnaire sur le domaine public sont incorporés gratuitement et sans indemnisation à la fin de la concession, ne contrevient pas à la liberté d’établissement, d’autant plus qu'il est possible d'y déroger contractuellement.
Contexte de l'affaire :
La Società Italiana Imprese Balneari Srl (SIIB) gère un établissement balnéaire depuis 1928 sur le domaine public maritime de la commune italienne de Rosignano Marittimo. À l'expiration de la concession en 2008, la commune a invoqué l'article 49 du code de la navigation italien pour déclarer que les ouvrages construits par la SIIB étaient désormais acquis gratuitement par l’État italien. La SIIB a contesté cette décision devant les juridictions italiennes, soulevant notamment une atteinte à la liberté d’établissement.
Le Conseil d’État italien a alors saisi la CJUE pour savoir si cette disposition nationale, obligeant un concessionnaire à céder gratuitement les ouvrages inamovibles qu’il a réalisés, contrevient à l'article 49 du TFUE, qui garantit la liberté d’établissement.
Décision de la CJUE :
La CJUE a confirmé la conformité de la règle italienne avec le droit européen en développant un raisonnement en plusieurs points :
- Application indistincte : L'article 49 du code de la navigation italien s'applique de manière égale à tous les opérateurs économiques, sans discrimination.
- Conséquence de l'inaliénabilité : Cette règle ne régit pas les conditions d’établissement des concessionnaires, mais découle du principe fondamental de la domanialité publique, qui assure la propriété inaliénable des biens publics par l’État.
- Effet indirect sur la liberté d’établissement : Les effets restrictifs éventuels sur la liberté d’établissement sont jugés trop indirects et aléatoires pour être qualifiés d’entraves significatives.
- Possibilité de dérogation contractuelle : La possibilité de déroger à l'incorporation gratuite des ouvrages via une clause contractuelle renforce l’idée que cette disposition n’est pas absolue et que les parties peuvent en convenir autrement.
Portée de l’arrêt :
La CJUE a donc considéré que l'article 49 du TFUE n'interdit pas une règle nationale imposant, à la fin d'une concession d'occupation du domaine public, que le concessionnaire cède gratuitement les ouvrages qu'il a réalisés. Ce principe d'incorporation immédiate et gratuite est en cohérence avec le principe d’inaliénabilité du domaine public.
Cette décision consolide la prééminence des règles de domanialité publique sur certaines libertés économiques, notamment la liberté d’établissement, tout en soulignant le caractère précaire des droits des concessionnaires sur le domaine public. L'arrêt met en lumière la balance entre protection du domaine public et flexibilité contractuelle, rappelant que le régime de la concession reste modulable par les parties dans certaines limites. La possibilité de dérogation contractuelle laisse une marge de négociation aux concessionnaires, mais renforce également la vigilance nécessaire lors de la rédaction des contrats de concession.
Ainsi, l'incorporation gratuite des ouvrages à la fin d'une concession ne constitue pas une violation des libertés fondamentales, mais une conséquence naturelle de la gestion du domaine public par les autorités publiques.