Dans son arrêt du 22 octobre 2024 (Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret AȘ), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé les conditions d'accès aux marchés publics pour les opérateurs économiques originaires de pays tiers qui n'ont pas conclu d'accord de libre-échange avec l'UE. Cet arrêt confirme la flexibilité des pouvoirs adjudicateurs en matière de traitement des offres émanant d’opérateurs de pays extérieurs à l'Union, comme la Turquie dans ce cas, en fonction des accords commerciaux existants.
Contexte de l’affaire :
La CJUE a été saisie par une juridiction croate concernant une procédure d'attribution de marché public, dans laquelle une entreprise turque (non couverte par un accord de libre-échange avec l’UE) contestait son éviction. La question portait sur la possibilité pour cet opérateur de bénéficier des mêmes protections et garanties que les entreprises de l'UE ou de pays tiers ayant signé un accord commercial.
Décision de la CJUE :
La CJUE a précisé plusieurs points essentiels pour la participation des opérateurs économiques de pays tiers aux marchés publics de l’Union :
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Accès non garanti aux marchés publics : Les entreprises de pays tiers sans accord commercial, tel que l’Accord sur les marchés publics (AMP), ne bénéficient pas d’un accès automatique aux marchés publics européens. Elles peuvent être admises à participer, mais sans pour autant bénéficier des mêmes garanties que les entreprises européennes ou celles des pays partenaires couverts.
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Marge de manœuvre des acheteurs : En l’absence de décision générale de l’UE pour réglementer l’accès des entreprises de pays tiers, les pouvoirs adjudicateurs disposent d’une marge d’appréciation. Ils peuvent décider au cas par cas d’admettre ou non ces opérateurs, ou de prévoir des conditions spécifiques dans les documents de marché, telles que des ajustements de notation, pour refléter la différence de situation juridique entre les opérateurs couverts et non couverts.
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Primauté du droit national : Dans le cas où un opérateur non couvert est admis à soumissionner, tout recours en justice pour contester la procédure sera examiné selon le droit national uniquement, et non au regard des directives européennes sur les marchés publics.
Portée de la décision :
Cet arrêt apporte une clarification importante pour les autorités adjudicatrices au sein de l’Union. Les acheteurs publics peuvent moduler l’accès aux procédures de passation pour les entreprises de pays tiers sans accord commercial, et n’ont pas l’obligation de les traiter sur un pied d’égalité avec les entreprises de l’UE. La décision laisse toutefois ouverte la possibilité d’adapter le traitement de ces offres, en fonction des critères d'intérêt public.
Réflexion :
Cette jurisprudence confirme l’importance de la réciprocité dans l’accès aux marchés publics et souligne la capacité de l'UE et de ses États membres à se protéger face aux offres de pays sans accord commercial favorable. Elle pose la question de la flexibilité souhaitable pour les acheteurs publics dans les choix de partenariats commerciaux, tout en équilibrant les principes de transparence et de proportionnalité.
CJUE, 22 octobre 2024, Kolin Inşaat Turizm Sanayi ve Ticaret AȘ, Aff. n° C-652/22